« Papa c’est vrai que tu licencies des gens ? » Je me rappellerai toujours cette question de ma fille alors âgée de 8 ans. Les enfants ont cette faculté de vous saisir, comme ça, un matin avant de partir à l’école entre leurs céréales et l’ascenseur.
Et cette question m’a marqué, elle m’a fait réfléchir, c’est le genre de question que je qualifie en coaching de « question puissante », celle qui vous bouge et fait bouger les lignes. Et les enfants ont cette posture naturelle du coach qui vous chatouille par ses questions, celles qui une fois posées, vous fait dire « pas mal celle-là, je ne m’y attendais pas ». L’important au-delà de la question, c’est bien sûr la réponse à apporter. Et il me fallait trouver la réponse à donner à cette petite Socrate (et son cartable).
« Oui ma fille, il m’arrive de licencier des gens mais j’en recrute beaucoup, je les forme, je les fais évoluer dans l’entreprise ! Et comme ça, ils sont bien plus épanouis ». BIM, Socrate 1 – Papa DRH 1=> balle au centre, quelle belle réponse Flaubert ! Voilà qui remet les choses à leur place.
Mais alors, ce petit bras de fer avec ma progéniture pose questions : pourquoi a-t-on cette image du métier de DRH ? Pourquoi retient-on uniquement le côté « fin de l’aventure » et pas tout ce qu’il y a avant ? Qu’est-ce qui fait que les trois lettres D R H, suscitent souvent chez l’autre les réflexions du type : « ah oui pas simple comme métier » voir même « je n’aimerais pas être à ta place… » ?
Tentons d’apporter quelques pistes de réflexions à travers la raison d’être de la fonction de DRH et la complexité liée à la gestion de l’humain, tout en mettant en avant le côté indispensable de cette belle fonction.
Une fonction qui gère l’Humain est par définition une fonction qui gère la complexité
Qui est la/le Directrice/teur des Ressources Humaines ? C’est Madame ou Monsieur « Homme » dans l’Entreprise, qui gère l’humain, celle ou celui que l’on sollicite quand il y a un sujet qui impacte la relation de l’individu au travail mais également la communauté des collaborateurs et collaboratrices.
À la base, la mission est déjà compliquée voire même complexe. Gérer des chiffres est plus cartésien, 1+1 ont toujours fait 2 même si j’ai connu certains contrôleurs de gestion qui arrivaient à passer des heures sur la relativité du +2 versus les -3 de l’année précédente à périmètre non comparable …
Régler des problèmes informatiques reste plus « binaire », si le fil rouge est bien « plugé » avec le bouton rouge et le fil vert avec le bouton vert (petit clin d’œil cinématographique) le PC devrait fonctionner, même si les systèmes sont plus complexes que deux fils qui se touchent.
Mais accompagner l’humain, n’est-ce pas déjà prévoir l’imprévisible, la complexité, l’ingérable ?
Il ne suffit pas (et tant mieux) d’appuyer sur un bouton pour que le comportement souhaité d’un collaborateur soit celui qu’il met en place automatiquement. Il ne suffit pas non plus de lui apprendre ce qu’il doit savoir pour qu’il le mette en pratique concrètement et s’y tienne. Vous en doutez ? Pourquoi les panneaux 130 Km/h ne suffisent pas à ce que nous respections les limites de vitesse … Pourquoi faut-il ajouter des radars et demain peut-être des détecteurs de détecteurs de radars… Et chacun au volant de son véhicule a toujours la bonne raison pour ne pas respecter la limitation « je suis juste un peu au-dessus, il n’y a personne, ma voiture est très sécure » etc…
Cela me rappelle cette anecdote vécue lorsque j’étais DRH : nous envisagions de confier un nouveau challenge à une de nos Directrices. Sa Manageuse la rencontre sans avoir préparé ce rendez-vous, si ce n’est sur la partie rémunération et l’augmentation de salaire qui allait avec ce nouveau poste. À votre avis quel fut le résultat ? La Directrice a refusé le poste, elle ne comprenait pas en quoi ce nouveau poste était un challenge et une évolution pour elle, ne voyait pas le sens qu’avait le poste dans son projet de carrière ainsi que dans l’étape de sa vie de famille. La step supplémentaire de la rémunération n’a pas suffi, bien au contraire.
Le jour où il suffira de prendre les résultats d’une collaboratrice, de les croiser avec ses éléments de formations et ce qui est indiqué dans sa dernière évaluation, l’IA fera le job, mais ce qu’il y a vraiment au fond de l’individu, ce qui le motive et ce qui fait son état d’esprit du moment, l’IA n’y peut encore pas grand-chose à mon sens. Gérer l’humain par de l’humain a encore de beaux jours devant lui.
Une fonction sans frontière entre l’individu et le/la professionnel(le) …
Se séparer de collaborateurs n’est jamais agréable mais nous ne nous séparons pas de la personne mais bien du professionnel qui occupe une fonction dans l’entreprise. Lorsque cette fonction n’est pas ou plus remplie alors s’en séparer est ce qu’il convient de faire, pour la pérennité de l’Entreprise.
La/le DRH est le gardien du temple. Ses décisions, ses actions, ses choix sont à ce titre épiés et commentés surtout lorsqu’ils influent sur la carrière d’un collaborateur. Lorsqu’en tant que client nous essayons une voiture ou nous allons diner au restaurant et que la prestation n’est pas satisfaisante que faisons-nous ? Nous exprimons le fait que la voiture ne nous plait pas ou que le plat n’est pas à notre goût. Le vendeur de voiture se dit que nous n’avons rien compris et le restaurateur met la faute sur son fournisseur ou sur nos goûts qui divergent de ceux des autres clients, très satisfaits en général.
Mais lorsque que dans le cadre de son contrat de travail une/un DRH exprime son insatisfaction à un collaborateur, soit car celui-ci n’effectue pas son travail conformément à ce qu’il devrait, ou pire encore lorsque son comportement n’est pas celui attendu, que se passe-t-il ? Est-ce le professionnel titulaire d’un contrat de travail qui est visé ou la personne ? La frontière est ténue et souvent la personne prend le pas sur le collaborateur. L’individu se sent visé dans son être intérieur. La réponse facile et quasi instinctive est alors évidemment de s’en prendre à ce « DRH qui n’y connaît rien et qui n’a pas de cœur… ».
Une fonction face à l’adversité
Ajoutons à la complexité de cette gestion humaine que la/le DRH même averti(e) fait face à bien des obstacles. Au premier rang desquels on trouve l’inspection du travail…
Ma première rencontre avec une Inspectrice du Travail remonte à l’an 2000 (c’est déjà loin…) et j’en ai rencontré bon nombre depuis (toutes et tous sont différent(e)s et c’est bien ce qui ajoute à la difficulté). Sans aller jusqu’à la caricature anti-patronat et à l’image qu’on peut parfois en avoir, il peut être compliqué de composer avec la posture que certaines Inspections prennent. L’incertitude quant à l’appréciation du contexte place alors le DRH dans une position peu confortable. Il sait qu’il part parfois avec un apriori négatif et devra donc faire plus ou mieux que ce qui est requis. Mais le plus dur n’est pas là, c’est parfois de devoir faire comprendre cela à sa Direction Générale et aux autres Managers et Directeurs de départements avec lesquels il travaille chaque jour.
Un bon exemple sur le sujet nous est proposé à l’aube de cette année 2021 : que demandent les Inspections du Travail sur les contrôles liés aux entretiens professionnels dont la date d’échéance des 6 ans initialement prévue est arrivée à terme au 31/12/2020 ? La logique sera-t-elle la même partout ? À lire aussi : Qu’est-ce qu’un logiciel de recrutement ?
Une fonction indispensable et essentielle
L’être humain n’est pas toujours là où on l’attend, tant mieux, c’est ce qui en fait son charme et sa créativité.
C’est aussi ce qui fait que le métier de DRH existe et existera encore longtemps à l’avenir. Il faudra encore longtemps gérer cet « humain » en entreprise. Trouver les mots et les leviers pour qu’il soit motivé et donne le meilleur de lui-même. Gérer cette communauté d’égos qui doit travailler dans le même sens. Oui la digitalisation avance, oui l’intelligence artificielle gagne du terrain et dans certains domaines nous pouvons nous en féliciter. Je suis convaincu que nous devons envisager l’avenir sous l’angle de ce binôme Humain ET IA.
La/le DRH a toute sa place dans cet avenir bicéphale, elle/lui qui travaille déjà depuis de nombreuses années sur la simplification des outils de gestion RH, les SIRH et autres outils d’automatisation étant son quotidien depuis quelques années.
Travailler « sur » l’Homme est donc une tâche ardue, chaque personne ayant managé ou qui manage en conviendra. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur cette attractivité naturelle vers le management de la part de techniciens qui veulent encadrer une équipe et qui découvrent cette complexité qu’est la gestion de l’autre, dont on il a la responsabilité. D’ailleurs, les Managers lorsqu’ils sont face à cette complexité vers qui se tournent-ils ? Lorsqu’ils sont face à une problématique dans la gestion de leur équipe qui est leur source de solution ? La/le DRH !
La/le DRH doit être là pour tous les collaborateurs en quête de réponses sur leur avenir, leur package salarial, leurs états d’âmes, etc… Le bureau du DRH se vit porte ouverte, on doit pouvoir lui parler et elle/il doit être prêt(e) à écouter.
Le/la DRH qui resterait dans sa bulle, assis(e), se couperait du terrain et de ce qui s’y passe et renverrait une image de non-accessibilité et donc de non-professionnalisme. Beaucoup d’autres fonctions se vivent porte fermée, et lorsque celle-ci est fermée on y travaille, on y réfléchit, on y créé. Mais lorsque la porte du DRH est fermée, est-ce parce qu’il ne veut pas me voir, moi et mon sujet ? La/le DRH a des obligations que les autres fonctions ignorent …
Bien-sûr on me rétorque souvent qu’un Manager gère l’humain et que le DRH n’est pas le seul à faire face à cette complexité liée à l’humain. Certes, dans le meilleur des mondes c’est le cas. Mais en réalité sur 10 managers combien voient leur fonction comme de la gestion humaine en premier lieu ? Combien ont cette fibre managériale qui leur fait aborder leur rôle comme celui qui doit mettre en valeur les compétences de chacun de ses collaborateurs, les faire réussir en s’appuyant sur leurs forces et en travaillant leurs faiblesses ? Peu, trop peu et certainement pas tous … Et qui veille à ce que le Manager Manage ? Qui comble les manques de management ? Qui rattrape et corrige les conséquences des erreurs, du manque ou de l’absence totale de Management ? Le DRH bien sûr ! Il gère TOUS les individus de l’entreprise tant dans leur individualité que dans la communauté à laquelle ils appartiennent.
Conclusion
En effet la fonction de DRH est critiquée, caricaturée et souvent résumée à ses actions liées aux licenciements. Mais elle est et restera fondamentale dans toute organisation, beaucoup l’ont compris et la crise COVID que nous vivons a remis la fonction RH au-devant de la scène. Cette fonction RH est au cœur des actions pour permettre à l’activité de se maintenir et aux collaborateurs d’être payés.
On aurait certainement pu rêver mieux pour « faire briller » la fonction, mais comme me l’a dit un jour un DRH d’une très grande entreprise internationale « parfois il faut un conflit ou une grosse crise pour que la DRH soit écoutée et surtout entendue ».
À lire aussi : Le rôle des RH dans la gestion du changement digital et Pourquoi faut-il partager la fonction RH avec les managers ?
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